"L'Histoire d'une Âme" (The Autobiography of St. Thérèse of Lisieux)
CHAPITRE IER, Les premières notes d'un cantique d'amour. Le cœur d'une mère. "Souvenirs de deux à quatre ans"
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CHAPITRE IER
Les premières notes d'un cantique d'amour.
Le cœur d'une mère.
Souvenirs de deux à quatre ans.
——
C'est à vous, ma Mère vénérée, que je viens confier l'histoire de mon âme. Le jour où vous me l'avez demandée, il me semblait que cela dissiperait mon cœur; mais depuis, Jésus m'a fait sentir qu'en obéissant simplement je lui serais agréable. Je vais donc commencer à chanter ce que je dois redire éternellement: les miséricordes du Seigneur!...
Avant de prendre la plume, je me suis agenouillée devant la statue de Marie[8]: celle qui a donné à ma famille tant de preuves des maternelles préférences de la Reine du ciel; je l'ai suppliée de guider ma main, afin de ne pas tracer une seule ligne qui ne lui soit agréable. Ensuite, ouvrant le saint Evangile, mes yeux sont tombés sur ces mots: «Jésus, étant monté sur une montagne, appela à lui ceux qu'il lui plut.»[9] Voilà bien le mystère de ma vocation, de ma vie tout entière; et surtout le mystère des privilèges de Jésus sur mon âme. Il n'appelle pas ceux qui en sont dignes, mais ceux qu'il lui plaît. Comme le dit saint Paul: «Dieu a pitié de qui il veut, et il fait miséricorde à qui il veut faire miséricorde[10]. Ce n'est donc pas l'ouvrage de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde.»[11]
Longtemps je me suis demandé pourquoi le bon Dieu avait des préférences, pourquoi toutes les âmes ne recevaient pas une égale mesure de grâces. Je m'étonnais de le voir prodiguer des faveurs extraordinaires à de grands pécheurs comme saint Paul, saint Augustin, sainte Madeleine et tant d'autres qu'il forçait, pour ainsi dire, à recevoir ses grâces. Je m'étonnais encore, en lisant la vie des saints, de voir Notre-Seigneur caresser du berceau à la tombe certaines âmes privilégiées, sans laisser sur leur passage aucun obstacle qui les empêchât de s'élever vers lui, ne permettant jamais au péché de ternir l'éclat immaculé de leur robe baptismale. Je me demandais pourquoi les pauvres sauvages, par exemple, mouraient en grand nombre sans même avoir entendu prononcer le nom de Dieu.
Jésus a daigné m'instruire de ce mystère. Il a mis devant mes yeux le livre de la nature, et j'ai compris que toutes les fleurs créées par lui sont belles, que l'éclat de la rose et la blancheur du lis n'enlèvent pas le parfum de la petite violette, n'ôtent rien à la simplicité ravissante de la pâquerette. J'ai compris que, si toutes les petites fleurs voulaient être des roses, la nature perdrait sa parure printanière, les champs ne seraient plus émaillés de fleurettes.
Ainsi en est-il dans le monde des âmes, ce jardin vivant du Seigneur. Il a trouvé bon de créer les grands saints qui peuvent se comparer aux lis et aux roses; mais il en a créé aussi de plus petits, lesquels doivent se contenter d'être des pâquerettes ou de simples violettes destinées à réjouir ses regards divins lorsqu'il les abaisse à ses pieds. Plus les fleurs sont heureuses de faire sa volonté, plus elles sont parfaites.
J'ai compris autre chose encore... J'ai compris que l'amour de Notre-Seigneur se révèle aussi bien dans l'âme la plus simple, qui ne résiste en rien à ses grâces, que dans l'âme la plus sublime. En effet, le propre de l'amour étant de s'abaisser, si toutes les âmes ressemblaient à celles des saints Docteurs qui ont illuminé l'Eglise, il semble que le bon Dieu ne descendrait point assez bas en venant jusqu'à elles. Mais il a créé l'enfant qui ne sait rien et ne fait entendre que de faibles cris; il a créé le pauvre sauvage n'ayant pour se conduire que la loi naturelle; et c'est jusqu'à leurs cœurs qu'il daigne s'abaisser!
Ce sont là les fleurs des champs dont la simplicité le ravit; et, par cette action de descendre aussi bas, le Seigneur montre sa grandeur infinie. De même que le soleil éclaire à la fois le cèdre et la petite fleur; de même l'Astre divin illumine particulièrement chacune des âmes, grande ou petite, et tout correspond à son bien: comme dans la nature, les saisons sont disposées de manière à faire éclore, au jour marqué, la plus humble pâquerette.
Sans doute, ma Mère, vous vous demandez avec étonnement où je veux en venir; car, jusqu'ici, je n'ai rien dit encore qui ressemble à l'histoire de ma vie; mais ne m'avez-vous pas ordonné d'écrire sans contrainte ce qui me viendrait naturellement à la pensée? Ce n'est donc pas ma vie proprement dite que vous trouverez dans ces pages; ce sont mes pennées sur les grâces que Notre-Seigneur a daigné m'accorder.
Je me trouve à une époque de mon existence où je puis jeter un regard sur le passé; mon âme s'est mûrie dans le creuset des épreuves intérieures et extérieures. Maintenant, comme la fleur après l'orage, je relève la tête, et je vois que se réalisent pour moi les paroles du psaume:
«Le Seigneur est mon Pasteur, je ne manquerai de rien. Il me lait reposer dans des pâturages agréables et fertiles; Il me conduit doucement le long des eaux. Il conduit mon âme sans la fatiguer... Mais, lors même que je descendrais dans la vallée de l'ombre de la mort, je ne craindrais aucun mal, parce que vous serez avec moi, Seigneur[12]!»
Oui, toujours le Seigneur a été pour moi compatissant et rempli de douceur, lent à punir, et abondant en miséricordes[13]! Aussi, j'éprouve un réel bonheur à venir chanter près de vous, ma Mère, ses ineffables bienfaits. C'est pour vous seule que je vais écrire l'histoire de la petite fleur cueillie par Jésus; cette pensée m'aidera à parler avec abandon, sans m'inquiéter ni du style, ni des nombreuses digressions que je vais faire; un cœur de mère comprend toujours son enfant, alors même qu'il ne sait que bégayer. Je suis donc sûre d'être comprise et devinée.
Si une petite fleur pouvait parler, il me semble qu'elle dirait simplement ce que le bon Dieu a fait pour elle, sans essayer de cacher ses dons. Sous prétexte d'humilité, elle ne dirait pas qu'elle est disgracieuse et sans parfum, que le soleil a terni son éclat, que les orages ont brisé sa tige, alors qu'elle reconnaîtrait en elle-même tout le contraire.
La fleur qui va raconter son histoire se réjouit d'avoir à publier les prévenances tout à fait gratuites de Jésus. Elle reconnaît que rien n'était capable en elle d'attirer ses divins regards; que sa miséricorde seule l'a comblée de biens. C'est lui qui l'a fait naître en une terre sainte et comme tout imprégnée d'un parfum virginal; c'est lui qui l'a fait précéder de huit lis éclatants de blancheur. Dans son amour, il a voulu la préserver du souffle empoisonné du monde: à peine sa corolle commençait-elle à s'entr'ouvrir, que ce bon Maître la transplanta sur la montagne du Carmel, dans le jardin choisi de la Vierge Marie.
Je viens, ma Mère, de résumer en peu de mots ce que le bon Dieu a fait pour moi; maintenant je vais entrer dans le détail de ma vie d'enfant: je sais que, là où tout autre ne verrait qu'un récit ennuyeux, votre cœur maternel trouvera des charmes.
Dans l'histoire de mon âme jusqu'à mon entrée au Carmel, je distingue trois périodes bien marquées: la première, malgré sa courte durée, n'est pas la moins féconde en souvenirs; elle s'étend depuis l'éveil de ma raison jusqu'au départ de ma mère chérie pour la patrie des cieux; autrement dit: jusqu'à mon âge de quatre ans et huit mois.
Le bon Dieu m'a fait la grâce d'ouvrir mon intelligence de très bonne heure, et de graver si profondément dans ma mémoire les souvenirs de mon enfance que ces événements passés me semblent d'hier. Sans doute, Jésus voulait me faire connaître et apprécier la mère incomparable qu'il m'avait donnée. Hélas! sa main divine me l'enleva bientôt pour la couronner dans le ciel.
Toute ma vie, le Seigneur s'est plu à m'entourer d'amour; mes premiers souvenirs sont empreints des sourires et des caresses les plus tendres. Mais s'il avait placé près de moi tant d'amour, il en avait mis aussi dans mon petit cœur, le créant affectueux et sensible. On ne peut se figurer combien je chérissais mon père et ma mère; je leur témoignais ma tendresse de mille manières, car j'étais très expansive; toutefois, les moyens que j'employais alors me font rire aujourd'hui quand j'y pense.
Vous avez voulu, ma Mère, me mettre entre les mains les lettres de maman, adressées en ce temps-là à ma sœur Pauline, pensionnaire à la Visitation du Mans; je me souviens parfaitement des traits qu'elles contiennent; mais il me sera plus facile de citer simplement certains passages de ces lettres charmantes, souvent trop élogieuses à mon égard, étant dictées par l'amour maternel.
A l'appui de ce que je disais sur la manière de témoigner mon affection à mes parents, voici un mot de ma mère:
Le bébé est un lutin sans pareil, qui vient me caresser en me souhaitant la mort! «Oh! que je voudrais bien que tu mourrais, ma pauvre petite mère!» On la gronde, mais elle s'excuse d'un air tout étonné en disant: «C'est pourtant pour que tu ailles au ciel, puisque tu dis qu'il faut mourir pour y aller!» Elle souhaite de même la mort à son père quand elle est dans ses excès d'amour.
Cette pauvre mignonne ne veut point me quitter; elle est continuellement près de moi et me suit avec bonheur, surtout au jardin. Quand je n'y suis pas, elle refuse d'y rester et pleure tant qu'on est obligé de me la ramener. De même, elle ne monterait pas l'escalier toute seule, à moins de m'appeler à chaque marche: Maman! maman! Autant de marches, autant de maman! et si par malheur j'oublie de répondre une seule fois: «Oui, ma petite fille!» elle en reste là, sans avancer ni reculer.
J'allais atteindre ma troisième année, quand ma mère écrivait:
... La petite Thérèse me demandait l'autre jour si elle irait au ciel: «Oui, si tu es bien sage», lui ai-je répondu.—«Ah! maman, reprit-elle alors, si je n'étais pas mignonne, j'irais donc en enfer? mais moi je sais bien ce que je ferais: je m'envolerais avec toi qui serais au ciel; puis tu me tiendrais bien fort dans tes bras. Comment le bon Dieu ferait-il pour me prendre?» J'ai vu dans son regard qu'elle était persuadée que le bon Dieu ne lui pouvait rien, si elle se cachait dans les bras de sa mère.
Marie aime beaucoup sa petite sœur. C'est une enfant qui nous donne à tous bien des joies; elle est d'une franchise extraordinaire: c'est charmant de la voir courir après moi pour me faire sa confession. «Maman, j'ai poussé Céline une fois, je l'ai battue une fois; mais je ne recommencerai plus.»
Aussitôt qu'elle a fait le moindre malheur, il faut que tout le monde le sache: hier, ayant déchiré sans le vouloir un petit coin de tapisserie, elle s'est mise dans un état à faire pitié; puis il fallait bien vite le dire à son père. Lorsqu'il est rentré quatre heures après, personne n'y pensait plus; mais elle est accourue vers Marie, lui disant: «Raconte vite à papa que j'ai déchiré le papier.» Elle se tenait là, comme une criminelle qui attend sa condamnation; mais elle a dans sa petite idée qu'on va lui pardonner plus facilement si elle s'accuse.
En trouvant ici le nom de mon cher petit père, je suis amenée naturellement à certains souvenirs bien joyeux. Quand il rentrait, je courais invariablement au-devant de lui et m'asseyais sur une de ses bottes; alors il me promenait ainsi, tant que je le voulais, dans les appartements et dans le jardin. Maman disait en riant qu'il faisait toutes mes volontés: «Que veux-tu, répondait-il, c'est la reine!» Puis il me prenait dans ses bras, m'élevait bien haut, m'asseyait sur son épaule, m'embrassait et me caressait de toutes manières.
Cependant je ne puis dire qu'il me gâtait. Je me rappelle très bien qu'un jour où je me balançais en folâtrant, mon père vint à passer et m'appela, disant: «Viens m'embrasser, ma petite reine!» Contre mon habitude, je ne voulus point bouger et répondis d'un air mutin: «Dérange-toi, papa!» Il ne m'écouta pas et fit bien. Marie était là. «Petite mal élevée, me dit-elle, que c'est vilain de répondre ainsi à son père!» Aussitôt je sortis de ma fatale balançoire; la leçon n'avait que trop bien porté! Toute la maison retentit de mes cris de contrition; je montai vite l'escalier, et cette fois je n'appelai point maman à chaque marche; je ne pensais qu'à trouver papa, à me réconcilier avec lui, ce qui fut bien vite fait.
Je ne pouvais supporter la pensée d'avoir affligé mes bien-aimés parents; reconnaître mes torts était l'affaire d'un instant, comme le prouve encore ce trait d'enfance raconté si naturellement par ma mère elle-même:
Un matin, je voulus embrasser la petite Thérèse avant de descendre; elle paraissait profondément endormie; je n'osais donc la réveiller, quand Marie me dit: «Maman, elle fait semblant de dormir, j'en suis sûre.» Alors je me penchai sur son front pour l'embrasser; mais elle se cacha aussitôt sous sa couverture en me disant d'un air d'enfant gâté: «Je ne veux pas qu'on me voie.»—Je n'étais rien moins que contente, et le lui fis sentir. Deux minutes après je l'entendais pleurer, et voilà que bientôt, à ma grande surprise, je l'aperçois à mes côtés! Elle était sortie toute seule de son petit lit, avait descendu l'escalier pieds nus, embarrassée dans sa chemise de nuit plus longue qu'elle. Son petit visage était couvert de larmes.—«Maman, me dit-elle en se jetant à mes genoux, maman, j'ai été méchante, pardonne-moi!» Le pardon fut vite accordé. Je pris mon chérubin dans mes bras, le pressant sur mon cœur et le couvrant de baisers.
THÉRÈSE ENFANT ET SA MÈRE
De Maman j'aimais le sourire;
Son regard profond semblait dire:
"L'Eternité me ravit et m'attire...
Je vais aller dans le Ciel bleu
Voir Dieu!"
Je me souviens aussi de l'affection bien grande que j'avais dès ce temps-là pour ma sœur aînée, Marie, qui venait de terminer ses études à la Visitation. Sans en avoir l'air, je faisais attention à tout ce qui se passait et se disait autour de moi; il me semble que je jugeais les choses comme maintenant. J'écoutais attentivement ce qu'elle apprenait à Céline; pour obtenir la faveur d'être admise dans sa chambre pendant des leçons, j'étais bien sage et je lui obéissais en tout; aussi me comblait-elle de cadeaux qui, malgré leur peu de valeur, me faisaient un extrême plaisir.
Je puis dire que mes deux grandes sœurs me rendaient bien fière! Mais, comme Pauline me paraissait si loin, je ne rêvais qu'elle du matin au soir. Lorsque je commençais seulement à parler, et que maman me demandait: «A quoi penses-tu?» la réponse était invariable: «A Pauline!» Quelquefois j'entendais dire que Pauline serait religieuse; alors, sans trop savoir ce que c'était, je pensais: «Moi aussi, je serai religieuse!» C'est là un de mes premiers souvenirs; et depuis je n'ai jamais changé de résolution. Ce fut donc l'exemple de cette sœur chérie qui, dès l'âge de deux ans, m'entraîna vers l'Epoux des vierges.
O ma Mère, que de douces réflexions je voudrais vous confier ici, sur mes rapports avec Pauline! mais ce serait trop long.
Ma chère petite Léonie tenait aussi une bien grande place dans mon cœur; elle m'aimait beaucoup. Le soir, en revenant de ses leçons, elle voulait me garder quand toute la famille était en promenade; il me semble entendre encore les gentils refrains qu'elle chantait de sa douce voix pour m'endormir. Je me souviens parfaitement de sa première communion. Je me rappelle aussi la petite fille pauvre, sa compagne, que ma mère avait habillée, suivant l'usage touchant des familles aisées d'Alençon. Cette enfant ne quitta pas Léonie un seul instant de ce beau jour; et, le soir au grand dîner, on la mit à la place d'honneur. Hélas! j'étais trop petite pour rester à ce pieux festin; mais j'y participai un peu, grâce à la bonté de papa qui vint lui-même, au dessert, apporter à sa petite reine un morceau de la pièce montée.
Maintenant il me reste à parler de Céline, la petite compagne de mon enfance. Pour elle, les souvenirs sont en telle abondance que je ne sais lesquels choisir. Nous nous entendions parfaitement toutes les deux; mais j'étais bien plus vive et bien moins naïve qu'elle. Voici une lettre qui vous montrera, ma Mère, combien Céline était douce, et moi méchante. J'avais alors près de trois ans et Céline six ans et demi.
Ma petite Céline est tout à fait portée à la vertu; pour le petit furet, on ne sait pas trop comment ça fera; c'est si petit, si étourdi! C'est une enfant très intelligente; mais elle est bien moins douce que sa sœur, et surtout d'un entêtement presque invincible. Quand elle dit non, rien ne peut la faire céder; on la mettrait une journée dans la cave sans obtenir un oui de sa part; elle y coucherait plutôt!
J'avais encore un défaut dont ma mère ne parle pas dans ses lettres: c'était un grand amour-propre. En voici seulement deux exemples:
Un jour, voulant connaître sans doute jusqu'où irait mon orgueil, elle me dit en souriant: «Ma petite Thérèse, si tu veux baiser la terre je vais te donner un sou.» Un sou, cela valait pour moi toute une fortune. Pour le gagner dans la circonstance, je n'avais guère besoin d'abaisser ma grandeur, car ma petite taille ne mettait pas une distance considérable entre moi et la terre; cependant ma fierté se révolta, et, me tenant bien droite, je répondis à maman: «Oh! non, ma petite mère, j'aime mieux ne pas avoir de sou.»
Une autre fois, nous devions aller à la campagne chez des amis. Maman dit à Marie de me mettre ma plus jolie toilette, mais de ne pas me laisser les bras nus. Je ne soufflai mot, et montrai même l'indifférence que doivent avoir les enfants de cet âge; mais intérieurement je me disais: «Pourtant, comme j'aurais été bien plus gentille avec mes petits bras nus!»
Avec une semblable nature, je me rends parfaitement compte que, si j'avais été élevée par des parents sans vertu, je serais devenue très méchante, et peut-être même aurais-je couru à ma perte éternelle. Mais Jésus veillait sur sa petite fiancée; il fit tourner à son avantage tous ses défauts, qui, réprimés de bonne heure, lui servirent à grandir dans la perfection. En effet, comme j'avais de l'amour-propre et aussi l'amour du bien, il suffisait que l'on me dît une seule fois: «Il ne faut pas faire telle chose», pour que je n'eusse plus envie de recommencer. Je vois avec plaisir dans les lettres de ma chère maman, qu'en avançant en âge je lui donnais plus de consolation; n'ayant sous les yeux que de bons exemples, je voulais naturellement les suivre. Voici ce qu'elle écrivait en 1876:
Jusqu'à Thérèse qui veut se mêler de faire des sacrifices. Marie a donné à ses petites sœurs un chapelet fait exprès pour compter leurs pratiques de vertu; elles font ensemble de véritables conférences spirituelles très amusantes. Céline disait l'autre jour: «Comment cela se fait-il que le bon Dieu soit dans une si petite hostie?» Thérèse lui a répondu: «Ce n'est pas si étonnant, puisque le bon Dieu est tout-puissant!»—«Et qu'est-ce que ça veut dire tout-puissant?»—«Ça veut dire qu'il fait tout ce qu'il veut!»
Mais le plus curieux encore, c'est de voir Thérèse mettre la main cent fois par jour dans sa petite poche pour tirer une perle à son chapelet toutes les fois qu'elle fait un sacrifice.
Ces deux enfants sont inséparables et se suffisent pour se récréer. La nourrice a donné à Thérèse un coq et une poule de la petite espèce; vite le bébé a donné le coq à sa sœur. Tous les jours, après le dîner, celle-ci va prendre son coq, elle l'attrape tout d'un coup ainsi que la poule; puis les voilà qui viennent s'asseoir au coin du feu; elles s'amusent ainsi fort longtemps.
Un matin, Thérèse s'est avisée de sortir de son petit lit pour aller coucher avec Céline; la bonne la cherchait pour l'habiller; elle l'aperçoit enfin, et la petite lui dit, en embrassant sa sœur et la serrant bien fort dans ses bras: «Laissez-moi, ma pauvre Louise, vous voyez bien que toutes les deux, on est comme les petites poules blanches, on ne peut pas se séparer!»
Il est bien vrai que je ne pouvais rester sans Céline; j'aimais mieux sortir de table avant d'avoir fini mon dessert que de ne pas la suivre aussitôt qu'elle se levait. Me tournant alors dans ma grande chaise d'enfant, je voulais descendre bien vite et puis nous allions jouer ensemble.
Le dimanche, comme j'étais trop petite pour aller aux offices, maman restait à me garder. En cette circonstance, je montrais une grande sagesse, ne marchant que sur le bout des pieds; mais aussitôt que j'entendais la porte s'ouvrir, c'était une explosion de joie sans pareille; je me précipitais au-devant de ma jolie petite sœur, et je lui disais: «O Céline! donne-moi bien vite du pain bénit!» Un jour, elle n'en avait pas!... comment faire? Je ne pouvais m'en passer; j'appelais ce festin, ma messe. Une idée lumineuse me traversa l'esprit: «Tu n'as pas de pain bénit, eh bien, fais-en!» Elle ouvrit alors le placard, prit le pain, en coupa une bouchée, et, récitant dessus un Ave Maria d'un ton solennel, me le présenta triomphante. Et moi, faisant le signe de la croix, je le mangeai avec une grande dévotion, lui trouvant tout à fait le goût du pain bénit.
Un jour, Léonie, se trouvant sans doute trop grande pour jouer à la poupée, vint nous trouver toutes les deux avec une corbeille remplie de robes, de jolis morceaux d'étoffe et autres garnitures, sur lesquels ayant couché sa poupée, elle nous dit: «Tenez, mes petites sœurs, choisissez!» Céline regarda et prit un peloton de ganse. Après un moment de réflexion, j'avançai la main à mon tour en disant: «Je choisis tout!» et j'emportai corbeille et poupée sans autre cérémonie.
Ce trait de mon enfance est comme le résumé de ma vie entière. Plus tard, lorsque la perfection m'est apparue, j'ai compris que pour devenir une sainte il fallait beaucoup souffrir, rechercher toujours ce qu'il y a de plus parfait et s'oublier soi-même. J'ai compris que, dans la sainteté, les degrés sont nombreux, que chaque âme est libre de répondre aux avances de Notre-Seigneur, de faire peu ou beaucoup pour son amour; en un mot, de choisir entre les sacrifices qu'il demande. Alors, comme aux jours de mon enfance, je me suis écriée: «Mon Dieu, je choisis tout! je ne veux pas être sainte à moitié; cela ne me fait pas peur de souffrir pour vous, je ne crains qu'une chose, c'est de garder ma volonté; prenez-la, car je choisis tout ce que vous voulez!»
Mais je m'oublie, ma Mère bien-aimée; je ne dois pas encore vous parler de ma jeunesse, j'en suis au petit bébé de trois et quatre ans.
Je me souviens d'un songe que j'ai fait à cet âge et qui s'est gravé profondément dans ma mémoire:
J'allais me promener seule au jardin, quand j'aperçus tout à coup, auprès de la tonnelle, deux affreux petits diables qui dansaient sur un baril de chaux avec une agilité surprenante, malgré des fers pesants qu'ils avaient aux pieds. Ils jetèrent d'abord sur moi des yeux flamboyants; puis, comme saisis de crainte, je les vis se précipiter en un clin d'œil au fond du baril, sortir ensuite par je ne sais quelle issue, courir et se cacher finalement dans la lingerie qui donnait de plain-pied sur le jardin. Les trouvant si peu braves, je voulus savoir ce qu'ils allaient faire; et, dominant ma première frayeur, je m'approchai de la fenêtre... Les pauvres diablotins étaient là, courant sur les tables et ne sachant comment fuir mon regard. De temps en temps ils s'approchaient, guettaient par les carreaux d'un air inquiet; puis, voyant que j'étais toujours là, ils recommençaient à courir comme des désespérés.
Sans doute, ce rêve n'a rien d'extraordinaire; je crois, cependant, que le bon Dieu s'en est servi, afin de me prouver qu'une âme en état de grâce n'a rien à craindre des démons qui sont des lâches, capables de fuir devant le regard d'un enfant.
O ma Mère, que j'étais heureuse à cet âge! Non seulement je commençais à jouir de la vie; mais la vertu avait pour moi des charmes. Je me trouvais, il me semble, dans les mêmes dispositions qu'aujourd'hui, ayant déjà un très grand empire sur toutes mes actions. Ainsi, j'avais pris l'habitude de ne jamais me plaindre quand on m'enlevait ce qui était à moi; ou bien, lorsque j'étais accusée injustement, je préférais me taire que de m'excuser. Il n'y avait en cela aucun mérite de ma part; je le faisais naturellement.
Ah! comme elles ont passé rapidement ces années ensoleillées de ma petite enfance, et quelle douce et suave empreinte elles ont laissée dans mon âme! Je me rappelle avec bonheur les promenades du dimanche où toujours ma bonne mère nous accompagnait. Je sens encore les impressions profondes et poétiques qui naissaient dans mon cœur à la vue des champs de blé émaillés de coquelicots, de bleuets et de pâquerettes. Déjà, j'aimais les lointains, l'espace, les grands arbres; en un mot, toute la belle nature me ravissait et transportait mon âme dans les cieux.
Souvent, pendant ces longues promenades, nous rencontrions des pauvres, et la petite Thérèse était toujours chargée de leur porter l'aumône; ce qui la rendait bien heureuse. Souvent aussi, mon bon père, trouvant la route un peu longue pour sa petite reine, la ramenait au logis, à son grand déplaisir! Alors, pour la consoler, Céline remplissait de pâquerettes son joli petit panier et les lui donnait au retour.
Oh! véritablement, tout me souriait sur la terre. Je trouvais des fleurs sous chacun de mes pas, et mon heureux caractère contribuait aussi à rendre ma vie agréable; mais une nouvelle période allait s'ouvrir. Devant être si tôt la fiancée de Jésus, il m'était nécessaire de souffrir dès mon enfance. De même que les fleurs du printemps commencent à germer sous la neige et s'épanouissent aux premiers rayons du soleil, de même la petite fleur dont j'écris les souvenirs a-t-elle dû passer par l'hiver de l'épreuve, et laisser remplir son tendre calice de la rosée des pleurs...
THE AUTOBIOGRAPHY OF SOEUR THÉRÈSE OF LISIEUX, ENTITLED BY
HERSELF: "THE STORY OF THE SPRINGTIME OF A LITTLE WHITE FLOWER"
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CHAPTER I
EARLIEST MEMORIES
It is to you, dear Mother, that I am about to confide the story of my soul. When you asked me to write it, I feared the task might unsettle me, but since then Our Lord has deigned to make me understand that by simple obedience I shall please Him best. I begin therefore to sing what must be my eternal song: "the Mercies of the Lord."[1]
Before setting about my task I knelt before the statue of Our Lady which had given my family so many proofs of Our Heavenly Mother's loving care.[2] As I knelt I begged of that dear Mother to guide my hand, and thus ensure that only what was pleasing to her should find place here.
Then opening the Gospels, my eyes fell on these words: "Jesus, going up into a mountain, called unto Him whom He would Himself."[3]
They threw a clear light upon the mystery of my vocation and of my entire life, and above all upon the favours which Our Lord has granted to my soul. He does not call those who are worthy, but
those whom He will. As St. Paul says:
"God will have mercy on whom He will have mercy.[4] So then it is not of him that willeth, nor of him that runneth, but of God that showeth mercy."[5]
I often asked myself why God had preferences, why all souls did not receive an equal measure of grace. I was filled with wonder when I saw extraordinary favours showered on great sinners like
St. Paul, St. Augustine, St. Mary Magdalen, and many others, whom He forced, so to speak, to receive His grace. In reading the lives of the Saints I was surprised to see that there were certain
privileged souls, whom Our Lord favoured from the cradle to the grave, allowing no obstacle in their path which might keep them from mounting towards Him, permitting no sin to soil the spotless brightness of their baptismal robe. And again it puzzled me why so many poor savages should die without having even heard the name of God.
Our Lord has deigned to explain this mystery to me. He showed me the book of nature, and I understood that every flower created by Him is beautiful, that the brilliance of the rose and the
whiteness of the lily do not lessen the perfume of the violet or the sweet simplicity of the daisy. I understood that if all the lowly flowers wished to be roses, nature would lose its springtide
beauty, and the fields would no longer be enamelled with lovely hues. And so it is in the world of souls, Our Lord's living garden.
He has been pleased to create great Saints who may be compared to the lily and the rose, but He has also created lesser ones, who must be content to be daisies or simple violets flowering at His Feet, and whose mission it is to gladden His Divine Eyes when He deigns to look down on them. And the more gladly they do His Will the greater is their perfection.
I understood this also, that God's Love is made manifest as well in a simple soul which does not resist His grace as in one more highly endowed. In fact, the characteristic of love being
self-abasement, if all souls resembled the holy Doctors who have illuminated the Church, it seems that God in coming to them would not stoop low enough. But He has created the little child, who
knows nothing and can but utter feeble cries, and the poor savage who has only the natural law to guide him, and it is to their hearts that He deigns to stoop. These are the field flowers whose
simplicity charms Him; and by His condescension to them Our Saviour shows His infinite greatness. As the sun shines both on the cedar and on the floweret, so the Divine Sun illumines every soul, great and small, and all correspond to His care--just as inmnature the seasons are so disposed that on the appointed day the humblest daisy shall unfold its petals.
You will wonder, dear Mother, to what all this is leading, for till now I have said nothing that sounds like the story of my life; but did you not tell me to write quite freely whatever came into my mind? So, it will not be my life properly speaking, that you will find in these pages, but my thoughts about the graces which it has pleased Our Lord to bestow on me.
I am now at a time of life when I can look back on the past, for my soul has been refined in the crucible of interior and exterior trials. Now, like a flower after the storm, I can raise my head
and see that the words of the Psalm are realised in me:
"The Lord is my Shepherd and I shall want nothing.
He hath set me in a place of pasture.
He hath brought me up on the water of refreshment.
He hath converted my soul.
He hath led me on the paths of justice for His own Name's sake.
For though I should walk in the midst of the
shadow of death, I will fear no evils for Thou are with me."[6]
Yes, to me Our Lord has always been "compassionate and merciful, long-suffering and plenteous in mercy."[7]
And so it gives me great joy, dear Mother, to come to you and sing His unspeakable mercies. It is for you alone that I write the story of the little flower gathered by Jesus. This thought will help me to speak freely, without troubling either about style or about the many digressions that I shall make; for a Mother's heart always understands her child, even when it can only lisp, and so I
am sure of being understood and my meaning appreciated.
If a little flower could speak, it seems to me that it would tell us quite simply all that God has done for it, without hiding any of its gifts. It would not, under the pretext of humility, say that it was not pretty, or that it had not a sweet scent, that the sun had withered its petals, or the storm bruised its stem, if it knew that such were not the case.
The Little Flower, that now tells her tale, rejoiced in having to publish the wholly undeserved favours bestowed upon her by Our Lord. She knows that she had nothing in herself worthy of
attracting Him: His Mercy alone showered blessings on her. He allowed her to grow in holy soil enriched with the odour of purity, and preceded by eight lilies of shining whiteness. In His Love He willed to preserve her from the poisoned breath of the world--hardly had her petals unfolded when this good Master transplanted her to the mountain of Carmel, Our Lady's chosen garden.
And now, dear Mother, having summed up in a few words all that God's goodness has done for me, I will relate in detail the story of my childhood. I know that, though to others it may seem
wearisome, your motherly heart will find pleasure in it. In the story of my soul, up to the time of my entry into the Carmel, there are three clearly marked periods: the first, in spite of its shortness, is by no means the least rich in memories.
It extends from the dawn of reason to the death of my dearly loved Mother; in other words, till I was four years and eight months old. God, in His goodness, did me the favour of awakening my
intelligence very early, and He has imprinted the recollections of my childhood so deeply in my memory that past events seem to have happened but yesterday. Without doubt He wished to make me know and appreciate the Mother He had given me. Alas! His Divine Hand soon took her from me to crown her in Heaven.
All my life it has pleased Him to surround me with affection. My first recollections are of loving smiles and tender caresses; but if He made others love me so much, He made me love them too, for I was of an affectionate nature.
You can hardly imagine how much I loved my Father and Mother, and, being very demonstrative, I showed my love in a thousand little ways, though the means I employed make me smile now when I think of them.
Dear Mother, you have given me the letters which my Mother wrote at this time to Pauline, who was at school at the Visitation Convent at Le Mans. I remember perfectly the events they refer to,
but it will be easier for me simply to quote some passages, though these charming letters, inspired by a Mother's love, are too often full of my praises.
In proof of what I have said about my way of showing affection for my parents, here is an example: "Baby is the dearest little rogue; she comes to kiss me, and at the same time wishes me to die. 'Oh, how I wish you would die, dear Mamma,' she said, and when she was scolded she was quite astonished, and answered: 'But I want you to go to Heaven, and you say we must die to go there'; and in her outburst of affection for her Father she wishes him to die too. The dear little thing will hardly leave me, she follows me everywhere, but likes going into the garden best; when I am not there she refuses to stay, and cries so much that they are obliged to bring her back. She will not even go upstairs alone without calling me at each step, 'Mamma! Mamma!' and if I forget to answer 'Yes, darling!' she waits where she is, and will not move."
I was nearly three years old when my Mother wrote: "Little Thérèse asked me the other day if she would go to Heaven. 'Yes, if you are good,' I told her. 'Oh, Mamma,' she answered, 'then if I am not good, shall I go to Hell? Well, you know what I will do--I shall fly to you in Heaven, and you will hold me tight in your arms, and how could God take me away then?' I saw that she was convinced
that God could do nothing to her if she hid herself in my arms."
"Marie loves her little sister very much; indeed she is a child who delights us all. She is extraordinarily outspoken, and it is charming to see her run after me to confess her childish faults:
'Mamma, I have pushed Céline; I slapped her once, but I'll not do it again.' The moment she has done anything mischievous, everyone must know. Yesterday, without meaning to do so, she tore off a small piece of wall paper; you would have been sorry for her--she wanted to tell her father immediately. When he came home four hours later, everyone else had forgotten about it, but she ran at once to Marie saying: 'Tell Papa that I tore the paper.' She waited there like a criminal for sentence; but she thinks she is more easily forgiven if she accuses herself."
Papa's name fills me with many happy memories. Mamma laughingly said he always did whatever I wanted, but he answered: "Well, why not? She is the Queen!" Then he would lift me on to his shoulder, and caress me in all sorts of ways. Yet I cannot say that he spoilt me. I remember one day while I was swinging he called out as he passed: "Come and kiss me, little Queen." Contrary to my usual custom, I would not stir, and answered pertly: "You must come for it, Papa." He refused quite rightly, and went away. Marie was there and scolded me, saying: "How naughty to answer Papa like that!" Her reproof took effect; I got off the swing at once, and the whole house resounded with my cries. I hurried upstairs, not waiting this time to call Mamma at each step; my one thought was to find Papa and make my peace with him. I need not tell you that this was soon done.
I could not bear to think I had grieved my beloved parents, and I acknowledged my faults instantly, as this little anecdote, related by my Mother, will show: "One morning before going downstairs I
wanted to kiss Thérèse; she seemed to be fast asleep, and I did not like to wake her, but Marie said: 'Mamma, I am sure she is only pretending.' So I bent down to kiss her forehead, and
immediately she hid herself under the clothes, saying in the tone of a spoilt child: 'I don't want anyone to look at me.' I was not pleased with her, and told her so. A minute or two afterwards I
heard her crying, and was surprised to see her by my side. She had got out of her cot by herself, and had come downstairs with bare feet, stumbling over her long nightdress. Her little face was wet with tears: 'Mamma,' she said, throwing herself on my knee, 'I am sorry for being naughty--forgive me!' Pardon was quickly granted; I took the little angel in my arms and pressed her to my heart, smothering her with kisses."
I remember also my great affection for my eldest sister Marie, who had just left school. Without seeming to do so, I took in all that I saw and heard, and I think that I reflected on things then as I
do now. I listened attentively while she taught Céline, and was very good and obedient, so as to obtain the privilege of being allowed in the room during lessons. She gave me many trifling presents which pleased me greatly. I was proud of my two big sisters; but as Pauline seemed so far away from us, I thought of her all day long. When I was only just learning to talk, and Mamma
asked: "What are you thinking about?" my answer invariably was: "Pauline." Sometimes I heard people saying that Pauline would be a nun, and, without quite knowing what it meant, I thought: "I will be a nun too." This is one of my first recollections, and I have never changed my mind; so it was the example of this beloved sister which, from the age of two, drew me to the Divine Spouse of Virgins. My dearest Mother, what tender memories of Pauline I could confide to you here! But it would take me too long.
Léonie had also a very warm place in my heart; she loved me very much, and her love was returned. In the evening when she came home from school she used to take care of me while the others went out, and it seems to me I can still hear the sweet songs she sang to put me to sleep. I remember perfectly the day of her First Communion, and I remember also her companion, the poor child whom my Mother dressed, according to the touching custom of the well-to-do families in Alençon. This child did not leave Léonie for an instant on that happy day, and in the evening at the grand dinner she sat in the place of honour. Alas! I was too small to stay up for this feast, but I shared in it a little, thanks to Papa's goodness, for he came himself to bring his little Queen a
piece of the iced cake.
The only one now left to speak of is Céline, the companion of my childhood. My memories of her are so many that I do not know which to choose. We understood each other perfectly, but I was much more forward and lively, and far less ingenuous. Here is a letter which will show you, dear Mother, how sweet was Céline, and how naughty Thérèse. I was then nearly three years old, and Céline six and a half. "Céline is naturally inclined to be good; as to the little puss, Thérèse, one cannot tell how she will turn out, she is so young and heedless. She is a very intelligent child, but has not nearly so sweet a disposition as her sister, and her stubbornness is almost unconquerable. When she has said 'No,' nothing will make her change; one could leave her all day in the cellar without getting her to say 'Yes.' She would sooner sleep there."
I had another fault also, of which my Mother did not speak in her letters: it was self-love. Here are two instances: --One day, no doubt wishing to see how far my pride would go, she smiled and
said to me, "Thérèse, if you will kiss the ground I will give you a halfpenny." In those days a halfpenny was a fortune, and in order to gain it I had not far to stoop, for I was so tiny there
was not much distance between me and the ground; but my pride was up in arms, and holding myself very erect, I said, "No, thank you, Mamma, I would rather go without it."
Another time we were going into the country to see some friends. Mamma told Marie to put on my prettiest frock, but not to let me have bare arms. I did not say a word, and appeared as indifferent
as children of that age should be, but I said to myself, "I should have looked much prettier with bare arms."
With such a disposition I feel sure that had I been brought up by careless parents I should have become very wicked, and perhaps have lost my soul. But Jesus watched over His little Spouse, and turned even her faults to advantage, for, being checked early in life, they became a means of leading her towards perfection. For instance, as I had great self-love and an innate love of good as well, it was enough to tell me once: "You must not do that," and I never wanted to do it again. Having only good example before my eyes, I naturally wished to follow it, and I see with pleasure in my Mother's letters that as I grew older I began to be a greater comfort. This is what she writes in 1876: "Even Thérèse is anxious to make sacrifices. Marie has given her little sisters a string of
beads on purpose to count their acts of self-denial. They have really spiritual, but very amusing, conversations together. Céline said the other day: 'How can God be in such a tiny Host?' Thérèse
answered: 'That is not strange, because God is Almighty!' 'And what does Almighty mean?' 'It means that He can do whatever He likes.'
"But it is more amusing still to see Thérèse put her hand in her pocket, time after time, to pull a bead along the string, whenever she makes a little sacrifice. The children are inseparable, and
are quite sufficient company for one another. Nurse has given Thérèse two bantams, and every day after dinner she and Céline sit by the fire and play with them.
"One morning Thérèse got out of her cot and climbed into Céline's. The nurse went to fetch her to be dressed, and, when at last she found her, the little thing said, hugging her sister very hard:
'Oh, Louise! leave me here, don't you see that we are like the little white bantams, we can't be separated from one another.'"
It is quite true that I could not be separated from Céline; I would rather leave my dessert unfinished at table than let her go without me, and I would get down from my high chair when she did, and off we went to play together. On Sundays, as I was still too small to go to the long services, Mamma stayed at home to take care of me. I was always very good, walking about on tip-toe; but as soon as I heard the door open there was a tremendous outburst of joy--I threw myself on my dear little sister, exclaiming: "Oh, Céline! give me the blessed bread, quick!"[8] One day she had not brought any--what was to be done? I could not do without it, for I called this little feast my Mass. A bright idea struck me: "You have no blessed bread! --make some." Céline immediately opened the cupboard, took out the bread, cut a tiny bit off, and after saying a Hail Mary quite solemnly over it, triumphantly presented it to me; and I, making the sign of the Cross, ate it with devotion, fancying it tasted exactly like the real blessed bread.
One day Léonie, thinking no doubt that she was too big to play with dolls, brought us a basket filled with clothes, pretty pieces of stuff, and other trifles on which her doll was laid: "Here, dears," she said, "choose whatever you like." Céline looked at it, and took a woollen ball. After thinking about it for a minute, I put out my hand saying: "I choose everything," and I carried off both doll and basket without more ado.
This childish incident was a forecast, so to speak, of my whole life. Later on, when the way of perfection was opened out before me, I realised that in order to become a Saint one must suffer
much, always seek the most perfect path, and forget oneself. I also understood that there are many degrees of holiness, that each soul is free to respond to the calls of Our Lord, to do much or
little for His Love--in a word, to choose amongst the sacrifices He asks. And then also, as in the days of my childhood, I cried out: "My God, I choose everything, I will not be a Saint by halves, I am not afraid of suffering for Thee, I only fear one thing, and that is to do my own will. Accept the offering of my will, for I choose all that Thou willest."
But, dear Mother, I am forgetting myself--I must not tell you yet of my girlhood, I am still speaking of the baby of three and four years old.
I remember a dream I had at that age which impressed itself very deeply on my memory. I thought I was walking alone in the garden when, suddenly, I saw near the arbour two hideous little devils
dancing with surprising agility on a barrel of lime, in spite of the heavy irons attached to their feet. At first they cast fiery glances at me; then, as though suddenly terrified, I saw them, in the twinkling of an eye, throw themselves down to the bottom of the barrel, from which they came out somehow, only to run and hide themselves in the laundry which opened into the garden. Finding
them such cowards, I wanted to know what they were going to do, and, overcoming my fears, I went to the window. The wretched little creatures were there, running about on the tables, not
knowing how to hide themselves from my gaze. From time to time they came nearer, peering through the windows with an uneasy air, then, seeing that I was still there, they began to run about again looking quite desperate. Of course this dream was nothing extraordinary; yet I think Our Lord made use of it to show me that a soul in the state of grace has nothing to fear from the devil,
who is a coward, and will even fly from the gaze of a little child.
Dear Mother, how happy I was at that age! I was beginning to enjoy life, and goodness itself seemed full of charms. Probably my character was the same as it is now, for even then I had great
self-command, and made a practice of never complaining when my things were taken; even if I was unjustly accused, I preferred to keep silence. There was no merit in this, for I did it naturally.
How quickly those sunny years of my childhood passed away, and what tender memories they have imprinted on my mind! I remember the Sunday walks when my dear Mother always accompanied us; and I can still feel the impression made on my childish heart at the sight of the fields bright with cornflowers, poppies, and marguerites. Even at that age I loved far-stretching views, sunlit spaces and stately trees; in a word, all nature charmed me and lifted up my soul to Heaven.
Often, during these walks, we met poor people. I was always chosen to give them an alms, which made me feel very happy. Sometimes, my dear Father, knowing the way was too long for his little Queen, took me home. This was a cause of grief, and to console me Céline would fill her basket with daisies, and give them to me on her return. Truly everything on earth smiled on me; I found flowers strewn at every step, and my naturally happy disposition helped to make life bright. But a new era was about to dawn.
I was to be the Spouse of Our Lord at such an early age that it was necessary I should suffer from my childhood. As the early spring flowers begin to come up under the snow and open at the
first rays of the sun, so the Little Flower whose story I am writing had to pass through the winter of trial and to have her tender cup filled with the dew of tears.
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[1] Ps. 88[89]:1.
[2] This statue twice appeared as if endowed with life, in order
to enlighten and console Mme. Martin, mother of Thérèse. A like
favour was granted to Thérèse herself, as will be seen in the
course of the narrative.
[3] Mark 3:13.
[4] Cf. Exodus 33:19.
[5] Cf. Rom. 9:16.
[6] Cf. Ps. 22[23]:1-4.
[7] Ps. 102[103]:8.
[8] The custom still prevails in some parts of France of blessing
bread at the Offertory of the Mass and then distributing it to the
faithful. It is known as _pain bénit._ This blessing only takes
place at the Parochial Mass. [Ed.]
ENGLISH ______________________________ CHAPTER I, https://www.gutenberg.org/cache/epub/16772/pg16772.txt.
OR
NOTES ON ST. THERESE in PORTUGUESE
https://www.carmelitas.pt/site/pdf/RE/RE54-56.pdf